Alain AMOUSSOUKPEVI à propos de la marque-pays du Bénin intitulée « Un Monde De Splendeurs » : « Le premier défi à mon avis réside dans l’engagement des Béninois »

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A l’issue du Conseil des ministres du mercredi 12 juin dernier, le gouvernement béninois a annoncé l’adoption de la marque-pays : « Un Monde De Splendeurs ». Cette initiative vise à renforcer l’attractivité du Bénin et à le promouvoir comme une destination touristique de premier plan, tant à l’échelle nationale qu’internationale. Suite à cette annonce, plusieurs questions émergent quant à l’impact et aux promesses de cette initiative. Est-elle conçue pour refléter fidèlement l’identité et les valeurs du Bénin ? Quelles retombées économiques et sociales le pays peut-il espérer à court, moyen et long terme ? Comment garantir la durabilité et l’adaptabilité de cette marque-pays face aux évolutions économiques et sociopolitiques ?
Dans cet entretien, M. Alain AMOUSSOUKPEVI, expert en marketing et en brand building, répond à ces interrogations. Fort de ses vingt années d’expérience en marketing, il estime que la notion de marque pays est intangible et doit s’inscrire dans une approche durable, avec pour objectif : un impact significatif sur le développement global du Bénin.
KDAARA TV : Pouvez-vous, nous expliquer le concept de « Nation Branding » et son importance pour un pays comme le Bénin ?
Alain AMOUSSOUKPEVI : La notion de Nation Branding ou marque nationale est un concept marketing qui consiste à utiliser les outils de marketing en général, pour la promotion d’un pays à travers ses aspects positifs et attrayants en vue d’attirer des investisseurs, influencer positivement l’opinion publique. Lorsqu’un pays fait l’option de mettre en place une stratégie d’image de marque, c’est que ce pays s’estime prêt. C’est-à-dire que dans plusieurs domaines, il dispose d’atouts et d’arguments tangibles qui peuvent nourrir le narratif qui lui permet de se « vendre ». Il s’agit d’une démarche très importante mais assez délicate. Car les effets que peuvent avoir un choix stratégique désastreux sur une marque ou une entreprise sont pareils quand il s’agit d’un pays. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’une démarche holistique qui embarque simultanément toute la stratégie de Contenu.
KDAARA TV : Quels sont donc les objectifs visés par l’initiative de la marque-pays « Un Monde De Splendeurs » lancée par le gouvernement béninois ?
Alain AMOUSSOUKPEVI : D’abord, l’objectif visé de façon générale est de construire une image positive. Celle d’un pays stable, prospère et en croissance, pour attirer plus d’investisseurs et rassurer l’opinion publique locale et internationale. Le choix opéré pour les autorités béninoises sur la promesse, oriente sur le positionnement de la marque. Cela participe d’une vision : celle de positionner le Bénin par rapport à ses atouts surtout touristiques. Car le terme « splendeur » évoque « Beauté » et « Émerveillement ». Cette signature qui relève surtout du « Destination Branding », détermine également l’axe sous lequel seront structurées les idées, la ligne éditoriale et globalement les contenus, l’objectif étant de faire connaitre, et de faire aimer la destination Bénin. Il faut reconnaître que ce positionnement peut se justifier à divers niveaux: dans un premier temps, notre histoire sublimée par les hauts faits que racontent les épopées de nos rois et royaumes du Nord au Sud. Dans ce sens, de nombreuses initiatives ont été prises par l’État béninois pour révéler ce patrimoine. Ensuite, l’offre touristique de notre pays a été qualitativement enrichie par des infrastructures et des événements de qualité remarquable, donnant aux différentes industries créatives, un contenu de qualité. Enfin, des projets encore plus audacieux sont en gestation pour compléter l’offre globale.
Cependant, l’expérience a démontré que même si une offre touristique ‘’alléchante’’ reste un levier indispensable pour construire la réputation d’un pays attractif, elle doit s’accompagner d’une démarche intégrée dans une stratégie globale et cohérente. Et à moins de prévoir une accroche, il serait bien que déjà le mot ‘’Bénin’’ apparaisse en même temps dans la promesse.
KDAARA TV : Comment la marque-pays « Un Monde De Splendeurs » est-elle pensée pour refléter l’identité et les valeurs du Bénin ?
Alain AMOUSSOUKPEVI : Sincèrement, je ne puis vous dire réellement, comment elle est pensée. Mais je peux affirmer, à la lumière de ma longue expérience en matière de ‘’Brand Building’’, comment procéder pour atteindre les objectifs. Et justement, elle doit être structurée. La démarche est simple. Il faut appliquer les outils de Marketing notamment de « Brand Content », parce que l’image de marque est un édifice très fragile. Et si l’on fait le choix de l’atout touristique, il faut savoir que le meilleur « asset » reste l’expérience, je veux parler du ’’Vivre’’ (entendu dans le sens de ‘’Expérimentation’’). En marketing, nous parlerons de « Consumer ou Customer, Experience ». C’est un travail de professionnel. Je vais vous faire une révélation. Beaucoup de pays qui ont mis en place une stratégie de Nation ou Country Branding ont d’abord échoué en pensant que c’est l’affaire uniquement des structures publiques. Elles ont d’abord échoué à cause de la perception que nourrissent les « consommateurs » de ce que, je pourrais qualifier d’ »effet stérilisant » : le fonctionnaire en mission et donc forcément « pas toujours objectif, plus dans la propagande, le partisanisme, que dans la promotion. Ensuite, les « consommateurs locaux », tout comme les employés dans le cadre d’une entreprise, restent, quoi qu’on dise, les premiers prescripteurs de la marque pays. D’où la nécessite d’une démarche inclusive de co-construction. Ensuite, tout comme dans toute stratégie commerciale, on fixe des KPIs. Il en existe également au plan international sous forme d’index, qui influencent les choix des potentiels « clients ».
KDAARA TV : Cette marque mettra sans doute en avant les principaux atouts économiques, touristiques, artistiques, culturels, naturels, sportifs, numériques et éducatifs. Mais concrètement, comment cette initiative contribuera-t-elle à renforcer l’attractivité du Bénin pour le secteur privé, les investisseurs, etc. ?
Alain AMOUSSOUKPEVI : Certes, le scope est vaste. Mais lorsqu’on parle d’attractivité, il faut être assez prudent. L’attractivité se définit comme « la capacité à drainer et à attirer des hommes, des activités, des fonctions et des compétences sur un territoire grâce à ses ressources, sans les dilapider et sans négliger la qualité de vie des populations ». Elle fait appel à des notions telles que : – le climat d’investissement – le risque pays – la Sécurité – La Justice Commerciale – les avantages économiques comparatifs – le Code d’investissement, le traitement juridique et fiscal de l’IDE, les infrastructures publiques…On ne peut donc parler d’attractivité en se focalisant uniquement sur les atouts touristiques. Il faut tenir compte de tous ces paramètres. Certes la cible paraît être le secteur économique, mais en réalité, c’est au bénéfice de la population tout entière que le progrès se réalise, par l’augmentation de l’investissement subséquent, créant richesses et emplois. Il faut donc un engagement remarquable de la part de tous, dans une stratégie de croissance et d’intégration au jeu économique international. A nous de savoir si aujourd’hui, nous cochons toutes ces cases pour qualifier notre pays d’attractif.
KDAARA TV : Quelles retombées économiques et sociales le Bénin peut-il espérer de cette initiative à court, moyen et long terme ?
Alain AMOUSSOUKPEVI : Evidemment les retombées sont avant tout, économiques. S’il est avéré que notre « Iconic Product » est bien le tourisme, il faut reconnaitre que pour un pays aux ressources aussi limitées comme le Bénin, l’industrie touristique constitue un sérieux atout.
Selon Mme Elcia Grandcourt, Directrice Régionale pour l’Afrique de l’ONU Tourisme, » en 2023, l’Afrique dans son ensemble a généré 38 milliards de dollars dont 87 millions d’arrivées internationales. Le secteur du tourisme, tout comme ailleurs dans le monde, a été profondément secoué par la pandémie de Covid-19…. Toutefois, grâce aux efforts concertés pour relancer l’industrie, notamment par l’amélioration des infrastructures et la promotion des atouts naturels et culturels, le tourisme sur le continent commence à rebondir, promettant de dépasser les niveaux pré-pandémiques. Dans le classement de l’Indice de développement du Voyage et du Tourisme (TTDI), l’Afrique du Sud occupe la place de leader (55ème rang mondial), suivie par l’Île Maurice (57ème rang mondial), l’Égypte (61ème rang mondial) et le Botswana (75ème rang mondial) ».
C’est dire qu’il y existe un énorme potentiel. Le nouveau slogan de l’ONU Tourisme d’ailleurs, est: « Rapprocher le Monde ». Et le Bénin a pris des initiatives remarquables en la matière. Tenez, la suppression du visa pour les pays africains constitue un atout de poids dans le tourisme Intra africain. Seulement 4 pays en Afrique (Bénin, Gambie, Rwanda, et Seychelles), ont pris cette mesure.
KDAARA TV : Quels sont les principaux défis que le Bénin pourrait rencontrer dans la mise en œuvre de cette marque-pays ?
Alain AMOUSSOUKPEVI : Le premier défi à mon avis réside dans l’engagement des Béninois. C’est la base de toute stratégie de marque pays réussie. Chaque béninois doit se sentir impliqué et fier de son pays. Il faut encourager et promouvoir un sentiment d’appartenance, de nationalisme général. Ensuite, il faudrait de la cohérence et une coordination efficaces entre le gouvernement, le secteur privé et bien entendu, les populations. En effet, si certains facteurs clés du processus de construction d’une marque pays, tels que: Ressources financières – Infrastructures et accessibilité – sécurité – Problèmes environnementaux – Communication et Technologie…. relèvent de l’état, l’adhésion des citoyens participe d’une démarche inclusive qui dépasse toute considération politique ou partisane. C’est une affaire de tous. Pour réussir, il faut adopter une « Brand Attitude ».
KDAARA TV : Et justement, le gouvernement envisage-t-il à votre avis, de mobiliser les parties prenantes locales (entreprises, artistes, experts, etc.) pour soutenir et promouvoir la marque ?
Alain AMOUSSOUKPEVI : Je ne puis savoir ce qu’envisage le gouvernement dans la mise en œuvre de cette décision. Mais cela me semble, au vu de mon développement ci-dessus, une nécessité. Le premier pas a été fait par le gouvernement. C’est très important et le timing me semble bon. Mais seule la suite nous permettra d’avoir une idée plus claire de l’orientation, donc des chances de succès de l’initiative.
KDAARA TV : Y a-t-il des exemples de pays ayant réussi leur nation branding et dont le Bénin peut s’inspirer ?
Alain AMOUSSOUKPEVI :Disons que toutes les nations développées ont pris par ce canal. Celui de la promotion de la marque pays. Il est en Afrique, un pays assez proche du Bénin qui a mis en place et réussit son Nation Branding: le Rwanda. Mais les véritables « case study » de nation branding réussie, sont l’Estonie et le Costa Rica.
KDAARA TV : Comment garantir la durabilité et l’adaptabilité de cette marque-pays face aux évolutions économiques et sociopolitiques ?
Alain AMOUSSOUKPEVI : Il faut avant tout faire abstraction de toute considération politique partisane. Ensuite, encourager l’engagement de toutes les parties prenantes. En effet la notion de marque pays est une notion intangible qui doit s’inscrire dans une approche durable. Sa réussite impactera à coup sûr, le développement global de notre pays. Transformer son image, stimuler l’économie et surtout améliorer le bien être des populations.